L'accumulation : une erreur stratégique très répandue
De quoi parlons-vous exactement ?
De tous les désagréments de la vie quotidienne : ce collègue qui nous a coupé la parole en réunion, alors que pourtant on s'entend bien normalement. Cette facture qu'on doit envoyer à la mutuelle et qui traîne sur le meuble de l'entrée depuis des jours. Cette tasse à café que le conjoint laisse systématiquement dans l'évier le matin alors que bon, le lave-vaisselle se trouve qu'à quelques centimètre juste en dessous ! La grand-mère qui arrive régulièrement 10 minutes en retard quand elle vient garder le petit avant notre départ au travail. La voiture qui fait un bruit bizarre quand on met la ventilation... C'est bon, vous voyez les vôtres ?
Nous parlons de ceci. De ce genre de tracas du quotidien, qui captent notre attention au moment où ils se produisent mais que nous décidons d'ignorer ensuite. Parce que nous ne voulons pas perdre de temps et d'énergie pour des choses aussi futiles. Ou parce que nous craignons d'aggraver les choses si nous y accordons de l'importance.
Nous parlons également de ces gros coups durs de la vie : la perte d'un être cher, un licenciement, un problème de santé, une rupture sentimentale par exemple. Nous décidons de n'y pas penser non plus mais cette fois-ci parce que cela nous fait peur, nous ne voulons pas affronter les émotions douloureuses qui s'y rattachent et nous ne voulons pas qu'elles viennent nous gâcher la vie. Il faut avancer et continuer, il paraît, non ?
Pourquoi est-il nécessaire d'éviter l'accumulation ?
Ignorer toute ces pans de votre vie peut avoir des conséquences délétères, tant sur votre santé psychologique, que votre qualité de vie, voire à plus long terme sur votre santé physique. Voici une liste, non exhaustive, des conséquences négatives de cette stratégie de gestion des émotions dysfonctionnelle :
La procrastination
Cette stratégie peut être causée par la procrastination, ou bien l'engendrer. Dans tous les cas, elle conduit à reporté les tâches qui nous sembles ingrates, pénibles ou dérisoires, au point qu'elles finissent par s'accumuler pour ressembler à une montagne insurmontable (montage de tâches à faire, ou d'émotions négatives cumulées). Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez consulter cet article consacré la procrastination.
L'accumulation des problèmes non résolus
C'est le même principes que celui de la procrastination. A la fin, les problèmes, qu'ils soient matériels ou émotionnels, s'accumulent sans être résolus. Vous trouverez ici une méthode centrée sur la résolution de problèmes.
Charge mentale
Cela résulte des deux points précédents : procrastination et accumulation. Parce que même si nous faisons tout pour ne pas y penser, c'est l'inverse qui se produit. La recherche en psychologie a clairement mis en évidence cet effet paradoxal (ou rebond) de la stratégie de suppression de pensées : plus nous essayons de supprimer une pensée, plus celle-ci revient en termes de fréquences et d'intensité (émotionnelle). Au final, tout cela va tourner dans notre esprit et devenir bien plus lourd à porter.
Détérioration de l'estime de soi et de la confiance en soi
En négligeant d'accorder du temps et de l'attention à nos problèmes, matériels ou émotionnels, nous nions une partie de nous-même, celle qui souffre. Nous nous coupons d'une partie de nous et ce faisant nous perdons l'accès à la connaissance d'une partie de soi. Par ailleurs, en ne résolvant pas certains de nos problèmes, nous ne nous sentons pas en maîtrise de notre vie (extérieure c'est-à-dire l'environnement et les évènements, ou intérieure c'est-à-dire nos émotions, notre humeur, nos pensées).
Détérioration des relations
Ne pas communiquer authentiquement ce qui ne nous convient pas conduit à de la rancœur, des non-dits, et in fine, à un détérioration du lien. Dans l'exemple de la tasse à café du conjoint, ne pas faire part de notre agacement laisse la place à toutes nos interprétations quant à son comportement. Et lui ne sait sans doute pas que celui-ci nous a contrarié. Que se passera-t'il ensuite, quand il continuera matin après matin ? Et que nous ne disions toujours rien car nous ne voulons pas créer une dispute pour si peu, ou apparaître comme pénible à faire des histoires pour rien ? Peut-être commencerons-nous à éprouver de la colère et de la rancœur contre notre conjoint. Peut-être remarquerons-nous mieux tous ses manquements et défauts qui viendront confirmer notre mauvaise opinion, formée au fur et à mesure des tasses dans l'évier le matin.
Une vie non alignée sur ses besoins et ses valeurs
En ignorant ce qui nous blesse, nous contrarie, nous agace, nous attriste etc... nous nous coupons d'un nombre significatif d'informations à notre propos. Les émotions négatives nous renseignent sur nos besoins quand ils ne sont pas satisfaits et sur nos valeurs quand elles sont mises en échec. Les supprimer et nier leur existence empêche, de fait, de prendre des décisions et mettre en place des actions qui permettraient de vivre une vie alignée sur nos besoins et nos valeurs. Au fur et à mesure, notre vie, extérieure et intérieure, ne nous ressemble plus.
Des répercussions sur la santé physique
Par exemple l'accumulation du stress. Ou encore les comportements compensatoires que certains peuvent mettre en place, avec l'alimentation, la cigarette, l'alcool etc.
Pourquoi est-elle inefficace ?
Nos vies sont une succession d'évènements, plus ou moins importants, chargés émotionnellement, plus ou moins intensément, plus ou moins agréables. Or, il semblerait que nous soyons immergés dans une société où le positivisme est devenue règle sociale. De sorte que nous ne prenons plus le temps de nous occuper de ce qui nous contrarie au quotidien : soit parce que ces évènements sont étiquetés comme négligeables ou peu importants, donc inutile de gaspiller de l'énergie et du temps dessus. Soit au contraire parce qu'ils sont tellement intenses émotionnellement, que nous préférons les éviter, voire tentons de les supprimer de notre vie mentale (éviter d'y penser par exemple). Est-ce bien raisonnable ?
Essayons d'appliquer ce raisonnement à notre vie pragmatique, matérielle : imaginons un instant que Sophie (personnage fictif), décide de n'accorder du temps et de l'énergie qu'à ce qu'elle aime faire dans la maison. Elle adore la décoration d'intérieur, réarranger l'ameublement, et cuisiner. Voilà. Pour le reste, ce sont des activités désagréables. Elle ne fera donc aucun nettoyage (cuisine, salle de bain, sols...). Elle ne videra pas les poubelles (se contentera de les fermer et d'ouvrir un nouveau sac etc... Je vous laisse imaginer le chaos, et les odeurs, dans la maison. Au bout d'un certains temps, même son activité favorite, la cuisine, lui deviendra désagréable, à cause des odeurs, de la poisse, des ustensiles non lavés... Vous avez l'image ?
Si vous voulez profiter de votre maison, alors vous devez également faire les tâches "ingrates" : leur accorder de votre temps, de votre énergie, de votre attention.
Allez, une dernière métaphore, plus poétique celle-ci : imaginons que vous soyez l'heureux propriétaire d'un magnifique jardin : il y a de ravissantes fleurs odorantes, un coin potager, un verger, un espace pique-nique, barbecue, un hamac ... Si vous souhaitez continuer de profiter de votre jardin, bien sûr qu'il vous faudra vous occuper des fleurs et des pommiers, mais également des mauvaises herbes et des taupes.
Vous avez compris : la balance, l'équilibre. Dès que vous décidez d'ignorer une partie de votre réalité, vous vous déséquilibrez. Et ça, ce n'est jamais gratuit ! (même votre système émotionnel est capitaliste). Si vous ne traitez pas une émotion négative maintenant, car vous êtes occupé par autre chose ou que ce n'est pas le bon moment, pas de soucis, votre système interne peut vous faire crédit. Mais attention ! Ce n'est pas un don, il vous faudra payer. Et si vous tarder trop, voilà les frais qui arrivent : frais de relance, agios, intérêts légaux de retard... Avec les émotions négatives, si vous accumulez, vous aurez la même sensation : elles vont s'amplifier et s'intensifier, alors même que la situation initiale qui les aura déclenchées n'aura pas forcément changé.
Ceux qui encaissent, et encaissent, et encaisse encore jusqu'au jour où la goutte fait déborder le vase, ont déjà vécu ce phénomène. D'ailleurs leur entourage le leur fait savoir : il n'hésite pas à leur signaler que leur réaction leur semble disproportionnée par rapport l'évènement déclencheur (la goutte d'eau). Ils ne voient pas tout le vase qui a été rempli précédemment.
Je vous ai donné des exemples de la vie quotidienne, pragmatique. Nous pourrions comparer avec notre santé physique : nous n'attendons pas d'avoir un problème pour prendre soin de notre santé : nous nous brossons les dents tous les jours, nous prenons des douches, nous faisons du sport (pour certains), nous faisons attention à notre alimentation etc... Nous prenons quantité d'actions au quotidien pour entretenir notre santé physique. Et que faisons-nous pour notre santé mentale ? Je ne parle pas ici de "temps pour soi" ou d'activité "bien-être". Je parle d'actions concrètes pour nous occuper de ce qui nous perturbent au quotidien : comme les poubelles dans la cuisine.
"Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin".
Carl Gustav Jung
En quoi consiste cette méthode ?
Cette méthode est très simple : prendre du temps pour faire des "rendez-vous avec vous-même". Pas de "moments bien-être" au spa ou pour vous détendre. Non. Des moments pour écouter les parties de vous qui ont des choses à dire sur ce qui ne va pas.
Ce que vous faîtes spontanément avec vos proches : quand un ami vous fait part d'un soucis au téléphone, vous ne lui raccrochez pas au nez en lui disant "ah non, pas de truc négatif, c'est pas fun. J'ai mieux à faire que de perdre du temps avec ça. Rappelle moi quand tu iras mieux et qu'on pourra rire ensemble". Parce que c'est ce que vous vous faîtes. C'est comme si vous n'acceptiez de passer du temps avec vous-même que lorsque vous allez bien.
Accordez-vous du temps et de l'attention, comme vous le feriez pour un proche.
En pratique : la méthode
Passons à la pratique maintenant. Voici les consignes pour pouvoir mettre en œuvre au quotidien cette méthode d'hygiène mentale. Ces consignes sont des guides, pas du tout des critères à respecter strictement. Il vous appartient de vous les appropriez de la meilleure façon pour vous, en fonction de vos besoins et de vie. Pensez à faire preuve de souplesse, la vie change et vous évoluez, ce qui vous convient aujourd'hui pourra évoluer également dans quelques semaines.
Accordez-vous régulièrement un temps pour faire le point
Prenez un rendez-vous avec vous-même régulièrement, pour faire un point. Dans les entreprises, ils ne se gênent pas pour faire des des réunions. Faîtes pareil, en plus sympa et sans les collègues ou chefs pénibles.
Installez-vous confortablement avec votre inconfort : qu'est-ce qui vous perturbent en ce moment ? quels sont vos soucis ? Ressentez-vous des émotions douloureuses ? Interrogez-vous avec bienveillance et sans jugement.
Pour le travail, éviter les "départs secs". Ce sont les départs où l'on quitte son travail immédiatement après la fin de la dernière tâche, ou lorsque l'heure nous indique qu'il faut partir. Prenez le temps d'organiser votre départ, en prenant quelques minutes avant pour faire un point sur la journée. Qu'avez-vous fait ? Que reste-t'il à faire ? Que dois-je ajouter ou rayer de la to-do-list ? Que se passe-t'il demain ? etc. Ce rendez-vous avec vous-même n'a pas besoin d'être long : quelques minutes, 10 maximum. Mais il aura un impact majeur sur le déroulement de votre soirée ! Vous libérerez votre cerveau de ces questions. Et surtout, avec de l'entraînement, cela deviendra un rituel signifiant la transition entre la journée de travail et votre temps personnel. Votre cerveau apprendra à reconnaître ce moment de transition pour le choix des pensées de la soirée. Si vous n'avez pas besoin de matériel (écrire, regarder votre agenda etc...), ce moment peut être fait durant le trajet de retour.
Prenez également le temps de penser aux évènements qui ne sont pas strictement reliés à vos tâches, comme par exemple le collègue qui vous a coupé la parole en réunion.
L'objectif principal est de planifier des moments dans votre vie quotidienne où vous serez entièrement disponible pour vous-même.
Que faire pendant ce temps avec moi-même ?
Après avoir pris le temps de mettre à jour ce qui vous perturbe actuellement, vous pouvez les traiter de trois façons différentes, cela dépendra des situations :
Agir : passez à l'action, faîtes immédiatement
Si vous identifier quelque chose qui vous tracasse et que vous pouvez vous en occupez maintenant, faîtes-le immédiatement : par exemple envoyer ce mail, répondre à ce message, ranger cette étagère, descendre ce meuble à la cave...
Décider : pratiquez les méthodes de résolution de problème et de gestion de tâches :
Pour d'autres situations, vous pouvez utiliser la méthode de résolution de problème ou encore une méthode de gestion du temps et de productivité, afin de décider ce que vous allez faire ou comment vous allez le faire. Cela vous permettra de penser à votre situation d'une façon ouverte et créative. Si vous ne connaissez pas de méthodes, vous pouvez consulter cet article présentant une méthode de résolution de problème en cliquant ici, et un autre article présentant des méthodes de gestion du temps et de productivité en cliquant ici.
Guérir : accordez-vous de l'attention
Il est des situations sur lesquelles nous n'avons pas le contrôle et pour lesquelles nous ne pouvons rien faire. Si elles génèrent une détresse émotionnelle, prenez du temps pour écouter ces émotions, comme vous le feriez avec un ami. Si un ami souffre d'une séparation amoureuse dont il n'est pas à l'origine, vous n'allez pas résoudre son problème ? Vous allez l'écouter et lui apportez votre soutien. Essayez de faire de même avec vous-même.
Combien de temps ?
Pas plus de 20 minutes par rendez-vous.
Programmez une alarme au besoin. Cette limite a été proposée par des chercheurs en psychologie. 20 minutes avec les émotions négatives a effet positif, au-delà, la courbe s'inverse. La colère devient rage, le stress de la panique etc... Un peu comme avec beaucoup de choses ici-bas : un peu c'est sympa, beaucoup ça pique (alcool, chocolat...).
A quelle fréquence ?
Cela dépend de vous, de vos besoins, du sujet.
Pour le travail, à chaque journée travaillée me semble intéressant : éviter les départs secs.
Pour la vie quotidienne, cela dépend de vos préoccupations actuelles, cela peut varier.
Il est important que vous adaptiez la fréquence à vos besoins.
Dans le cas où vous vous trouvez dans une période difficile et douloureuse, une à deux fois par jour pourrait tout à fait être adapté.
Le maximum est de 2 rendez-vous de 20 minutes par jour : soit 40 minutes par jour. Ce maximum est recommandé en cas de ruminations importantes impactant la qualité de vie et le sommeil.
Quand ?
Quand vous voulez, en fonction de l'organisation de votre vie. Il est important que vous soyez disponible pour ce rendez-vous, sans être dérangé et sans faire autre chose en même temps.
Dans tous les cas, au plus tard 2 heures avant le coucher. Gardez les deux dernières heures avant le coucher pour des activités agréables et relaxantes.
Quand arrêter d'utiliser cette méthode ?
Au départ, je vous recommande de pratiquer cet exercice de façon régulière sur une période de 2 à 3 semaines.
Ensuite, je vous encourage fortement à garder dans vos habitudes des moments de “point” avec vous-même.
Cela pourra être moins formel, pas forcément avec un “rendez-vous”, mais de penser de temps en temps et régulièrement à vous accorder du temps pour faire le point.
Conclusion
Prendre du temps pour soi, ce n'est pas toujours pour pratiquer des activités plaisantes ou relaxantes. Bien sûr que ces dernières sont essentielles à notre bien-être et notre équilibre, et il est important de se souvenir que notre santé mentale dépend également notre hygiène mentale. Il n'y a pas de petites dettes, de petites factures, de petits cailloux dans la chaussure, qui une fois accumulés, ne se transforme pas en véritable soucis ou souffrance.
En utilisant les étapes de la méthode présentée dans cet article, vous pouvez développer plusieurs compétences particulièrement utiles votre santé psychologique, votre qualité de vie et vos relations : comme par exemple la métacognition, l'intelligence émotionnelle, la résolution de problème... En appliquant cette méthode, vous disposez d'un outil efficace pour surmonter les obstacles et maintenir un bon équilibre psychologique, émotionnel et relationnel.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez approfondir votre travail sur votre parcours d'évolution personnelle, vous pouvez également faire appel à un professionnel.
Dans le cadre d’un travail sur la gestion des émotions, l’estime de soi, la confiance en soi ou encore le burn-out, les consultations appelées TECC ou TCC (pour thérapies émotionnelles, cognitives et comportementales) ont largement démontré leur efficacité. Elles permettent de mettre en œuvre un travail étayé et approfondi sur le plan émotionnel, corporel, cognitif (pensées limitantes, schémas automatiques...) et comportemental.
Céline Gasperini
Psychologue clinicienne